La création du laboratoire de mathématiques au collège Jules Vallès depuis 2022 a permis une réflexion didactique et pédagogique de l’équipe de mathématiques avec une recherche axée sur la résolution de problèmes. Suite à l’accueil de l’exposition Mathalyon en septembre 2023 (jeux mathématiques animés par des chercheurs et étudiants) et une visite à la MMI sur un problème d’optimisation, un nouvel axe de travail dans ce cadre s’est imposé à nous : le jeu et la manipulation. L’idée était d’engager tous les élèves dans nos activités et de raccrocher certains qui pensaient ne pas être capables de réussir en mathématiques.
Les professeurs savent que les jeunes élèves ont besoin de manipuler et verbaliser (programmes cycle 3 et 4) pour comprendre et s’approprier les notions nouvelles, grâce notamment à la méthode Singapour. La manipulation est d’ailleurs préconisée par le rapport Villani-Torossian. Nous reléguons cependant bien volontiers cette part au cycle 2, alors qu’elle reste essentielle dans la construction de pensée de nos collégiens. Pour un mathématicien, réfléchir à un problème sans papier et stylo reste difficile, la schématisation est bien une forme abstraite de manipulation…
Nous avons engagé ce travail de réflexion en nous demandant ce que la manipulation pouvait apporter pour résoudre des problèmes en cycle 3. Les activités présentées dans cet article ont été proposées pendant des séances d’AP maths en classe de 6ème où nous sommes deux collègues pour encadrer une classe.
Exemple 1 : Les cabines de plage
Matériel : Des bâtonnets posés sur la table (le choix est laissé de les utiliser ou non).
Objectifs : Ce problème classique en CM2 et 6ème de dénombrement de segments peut être également donné sans matériel. Découvrir (ou revoir) une situation de non proportionnalité, travailler le calcul et généraliser une situation en trouvant une formule ou une expression.
Démarche des élèves : Nous avons constaté que certains bons élèves, ayant commencé à placer les bâtonnets, les ont abandonnés rapidement au profit de la schématisation au bout de la 2ème ou 3ème question. D’autres ont mis du temps à comprendre la situation et l’ajout de 4 bâtonnets à chaque cabine. Ils ont continué tant que le nombre de bâtonnets le permettait de placer les cabines sur la table pour vérifier et se rassurer. La non proportionnalité de la situation est mise en lumière grâce à la progressivité des questions afin d’éviter des erreurs dans la généralisation et l’appui des bâtonnets : ils voient aisément que prendre le double de bâtonnets ne permet pas d’obtenir le double de cabines. Pour 100 cabines, certains passent par la schématisation avec des pointillés, d’autres le font en imaginant la situation. De nombreuses méthodes et écritures ont été trouvées pendant la correction collective facilitée par la manipulation et le dessin : 1+4k ou 5+4(k-1) ou 5k-(k-1).
Analyse : Il est à noter que l’exercice rituel proposé avant l’activité était en lien grâce à des suites logiques et notamment une du type 4k+1 afin de faire écho à une suite de nombres. La manipulation est un support rassurant leur permettant d’avancer dans le problème en recomptant et vérifiant leurs hypothèses à chaque étape. Les questions finales nécessitent un nombre de bâtonnets trop grand et demandent une généralisation de ce qui a été perçu. La motivation était forte avec ce problème accessible et de difficulté progressive.
Exemple 2 : Les escaliers
Matériel : Plusieurs escaliers à 7 lignes plastifiés posés sur les tables ou donnés en cours d’heure.
Objectifs : Ce problème fait travailler le calcul mental ou posé, permet de faire un lien entre géométrie et calcul. Il introduit la lettre et a une portée historique.
Démarche des élèves : Ce problème proposé en 6ème du dénombrement des carrés dans un escalier à plusieurs lignes revient à calculer la somme des premiers nombres entiers. Nous remarquons assez vite que quelques élèves, pour compter plus vite, ont assemblé les nombres astucieusement :

Cependant, ils ont du mal à déterminer le nombre de facteurs obtenus et ne vont pas au bout de la méthode calculatoire de façon efficace pour répondre à la généralisation. Les élèves constatent la non proportionnalité de cette situation en mettant simplement deux escaliers de 7 lignes l’un sur l’autre, remarquant alors que l’escalier de 14 lignes est incomplet. Ils abandonnent ainsi les idées de proportionnalité pour passer de 10 à 100 lignes. Une méthode géométrique prend forme et est induite par la manipulation (deux escaliers de 7 lignes emboîtés s’inscrivent dans un rectangle de longueur 8 et de largeur 7). La difficulté du nombre de lignes et de colonnes (ligne +1) est comprise par expérience et ils parviennent ensuite à imaginer ou dessiner la situation pour 25 lignes ou 100 lignes. Les élèves n’ayant pas aperçu cette option géométrique se lancent dans la somme des 25 premiers nombres entiers avec plus ou moins de succès, mais le challenge est motivant. Ils ne parviennent cependant pas forcément à la somme des 100 premiers nombres entiers.


Analyse : Donner dès le début de l’heure les escaliers ralentit la compréhension de la situation car les élèves comptent. La somme des premiers nombres apparait moins vite puisqu’ils ne comptent pas forcément dans l’ordre des lignes. Ils se rendent tout de même compte qu’il faut ajouter un nombre entier supérieur à chaque étape quand ils doivent dessiner les situations suivantes. La stratégie de laisser les élèves sans matériel au début de l’activité est plus avantageuse car ils ont la nécessité de schématiser et prennent conscience de la somme des premiers nombres entiers. Il faut donc laisser le temps d’appropriation du problème et de la construction de l’escalier par le dessin avant de proposer l’escalier plastifié qui, ici, aide plutôt à la généralisation mais pas forcément à la compréhension de la situation. L’apport essentiel réside dans l’assemblage de deux escaliers, cette résolution géométrique, difficile à formaliser, est utilisée par la majorité d’entre eux (peu d’élèves d’habitude y parviennent sans matériel). La séance se termine sur ces différentes résolutions, la légende de Gauss (méthode calculatoire) et sa magnifique formule n(n+1)÷2.
Exemple 3 : Le jeu des chapeaux
Matériel : Post-it et cases préremplies ou uniquement feuilles de brouillon.
Objectifs : Travailler la persévérance, la créativité et la nécessité de la preuve. Sur ce problème d’optimisation, la manipulation est indispensable.
Démarche des élèves : Le jeu des chapeaux est axé sur la recherche d’une stratégie. Le but étant d’optimiser le nombre de déplacements des personnages pour inverser leur emplacement en respectant certaines contraintes. La compréhension est rapide, cet exercice est ludique. Les élèves ont vite envie de tester par eux-mêmes avec le matériel préétabli ou en les laissant construire leur propre matériel (avec une feuille de brouillon et des stylos ou des bouchons, la situation peut être modélisée facilement). La stratégie est affinée au fur et à mesure et la compréhension du fait de ne pas reculer, de ne pas avoir deux personnages identiques voisins est trouvée en solo puis par équipe. Le problème réside dans la mémorisation des déplacements et stratégies gagnantes. Ils rivalisent donc de créativité avec des codes couleurs ou des suites de nombres pour indiquer les objets à déplacer.

Analyse : Ce problème logique permet à tous de participer et prendre du plaisir à chercher. La mise en commun régulière attise l’esprit de compétition : quand le meilleur score possible est trouvé (15 déplacements minimum), il faut prouver l’impossibilité de faire moins. La manipulation et l’intuition ont leurs limites car la modélisation avec le calcul des déplacements devient nécessaire et assez simple pour être comprise par tous.
Conclusion : Les apports/limites de la manipulation
Les élèves sont actifs, motivés et comprennent ce que l’on demande plus rapidement. Ils ne sont pas contraints dans la démarche, cette impression de choix révèle les créativités. Il semble que la généralisation et la schématisation soient plus accessibles aux bons élèves, les autres ressentant le besoin de manipuler, concrétiser ou vérifier leur démarche. Néanmoins, grâce au matériel, un plus grand nombre parvient à l’abstraction. La manipulation est un réel atout pour dynamiser la séance, vérifier la proportionnalité de la situation de façon simple et explicite et peut, parfois, induire des méthodes plus complexes. En leur laissant la possibilité de manipuler (ou non) on étend le champ des élèves impliqués dans la résolution de problème. Il n’est évidemment pas possible de manipuler sur tous les problèmes et ce n’est pas le but. Il faut que les élèves acquièrent un niveau d’abstraction suffisant tout au long du cycle 4 pour pouvoir faire face aux enjeux du brevet et du lycée. Cela peut se faire progressivement par de la manipulation occasionnelle en cycles 3 et 4.
Ressources et compléments
- Les bâtonnets ;
- L’escalier ;
- Le jeu des chapeaux ;
- Un travail de proportionnalité (calculer la hauteur d’une pile de feuille). Les élèves ont mesuré leur cahier, ont empilé de différentes manières, …
- Un jeu permettant aux élèves de travailler par 2 ou 4 sur les fractions : l’atelier des potions